Compte-rendu du café sur "la justice"
Le samedi 5 mars s'est déroulé le débat "à propos de la justice : la loi, le citoyen, l'Etat" ; voici les souvenirs-incomplets- que j'en ai gardés et que je vous invite à compléter et commenter à la suite ...
- Généralités sur "la justice": après rappel de la définition et de la distinction entre justice civile et pénale, on s'interroge sur l'origine de la justice dans les sociétés humaines, et même animales, sur la nécessité d'établir des règles pour maintenir la paix dans le groupe ; référence à la famille et au rôle du père qui fixe les interdits et les règles à respecter, qui punit ... tous les groupes humains ont du créer des "lois" et attribuer la fonction de rendre la justice, soit au "chef", soit à un groupe ad hoc, quand les fonctions se sont spécialisées (l'exemple de St Louis au Moyen-Age ou de l'actuel "pouvoir régalien" du Garde des Sceaux prouve que cette fonction, reste toujours très proche du pouvoir politique)
- Au nom de quoi rend-on la justice ? La religion a très longtemps fixé les règles, les normes, a créé une morale du bien et du mal, du permis et de l'interdit (ex Les 10 commandements...)
- Discussion autour de "la loi du Talion" :"Oeil pour oeil, dent pour dent" : si l'on pointe de nos jours l'aspect archaïque de cette loi, qui a souvent pour conséquence néfaste l'instauration d'une vendetta sans fin, il apparaît que cette loi était un progrès de son temps, dans la mesure où elle introduit la notion juridique essentielle de proportionnalité des peines, et que l'on n'est pas condamné de la même façon pour un délit ou pour un crime.
- Depuis la Révolution, on rend la justice au nom de la Nation, de la République actuellement , et du respect des lois votées par le Parlement (rappel de la complémentarité des 3 pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire et de la nécessité, depuis Montesquieu, de leur séparation pour que le régime soit vraiment démocratique.
- L'institution est souvent impopulaire ; certains y voient l'influence des représentations qu'on en a depuis l'enfance, à l'école notamment ("Les plaideurs", quelques fables de La Fontaine,Hugo, etc), qui se moquent d'une justice souvent injuste ou ridicule, ou qui la dénoncent. Plus récemment, on a beaucoup reproché à la justice sa lenteur (plusieurs mois entre le début d'une "affaire" et son procès, avec les abus de la détention préventive qui en découlent souvent) ; certains lui reprochent d'être souvent coûteuse, ce qui provoque des inégalités entre ceux qui ont les moyens de bien se défendre et les autres ; on évoque bien sûr aussi son inefficacité parfois, et ses dysfonctionnements (ex affaire d'Outreau) ; ce monde apparait également très éloigné du peuple, avec ses codes, un langage compris souvent par les seuls inités ... Autant d'éléments qui ne rendent pas les magistrats populaires (c'est du moins ce qu'ils ressentent eux-mêmes)
- Le fonctionnement actuel de la justice : il est étudié à partir d' études de cas, certains présentés par des membres du débat, un autre tiré d'une recherche tirée du livre "Comparutions immédiates. Enquête sur une pratique judiciaire" (A. Christin, La Découverte, 2008). ces cas permettent d'appréhender les réformes récentes, susceptibles de désengorger les tribunaux des milliers de dossiers qui s'entassent : à côté de la création d'instances nouvelles, permettant de traîter des cas sans recourir au procès (rôle des conciliateurs, des médiateurs, de tribunaux spécialisés comme les tribunaux de commerce ou les Conseils prudhomaux), création d'une "troisième voie" ; naguère, le parquet avait le choix pour répondre à l'arrivée d'un dossier de "classer l'affaire" ou de renvoyer le présumé coupable devant une instance de jugement ; dans ce cas, le dossier s'épaissit et l'affaire est souvent jugée dans un délai qui ne satisfait personne, ni la police, ni les victimes, ni l'accusé. Depuis les années 90 s'ouvre alors une troisième voie qui permet au parquet d'autres filières de traitement : le rappel à la loi, la médiation, l'indemnisation de la victime, l'obligation de soins... Enfin, pour améliorer les délais de réponse est créé le TTR (Traitement en Temps Réel des affaires pénales) qui permet au parquet de réagir aussitôt reçu le coup de fil du policier : celui-ci présente oralement les faits objectifs du dossier au substitut du procureur qui décide après ce court échange des suites à donner (entre les 3 voies ci-dessus) : cet homme est un véritable aiguilleur : il oriente les affaires, fixe les RV, impose sonrythme à l'ensemble des acteurs de la justice pénale ; pour les cas jugés les plus urgents,il peut décider de la "comparution immédiate". Ces réformes sont récentes et leurs conséquences difficiles à évaluer encore ; certes, cette justice dans l'urgence permet plus de rapidité et d'efficacité chiffrable, mais beaucoup s'interrogent sur le manque de recul et d'objectivité, qualités pourtant essentielles à l'idéal judiciaire.
- Devant ces analyses de cas, nous constatons à quel point le fonctionnement de la justice française est très mal connu : les exemples que nous avons en tête sont souvent les "grandes affaires" (mais le juge d'instruction ne traîte que 2% à 4% des affaires!), ou, pire, nous connaissons mieux le fonctionnement de la justice des USA, à travers les séries et les films américains
- S'entame alors une discussion sur les grandes différences entre la justice en France et celle des USA, fruits de leur histoire. Pour faire vite,
- - une justice française fondée sur le droit, écrit, où les magistrats sont tous formés à l'Ecole de la Magistrature, et où le parquet dépend de l'exécutif, du ministère de la justice ; avec une procédure inquisitoire, où la recherche de la vérité et de la preuve se fait avant l'audience
- - une justice américaine fondée sur l'oral (recherche de la jurisprudence et des jugements précédemment rendus sur des affaires approchantes): la recherche de la vérité se fait pendant l'audience, où les avocats des deux parties doivent convaincre le jury et le juge ; les magistrats sont élus ; la justice fait partie de la vie du citoyen (tout citoyen est au moins une fois juré dans sa vie)
- ces différences font l'objet d'un débat sur les avantages et les inconvénients de chacun des systèmes
- Pour finir (car l'heure a tourné), on essaie de résumer ce qui peut expliquer la crise actuelle de la justice en France : à côté du manque criant de moyens pour répondre à la judiciarisation de la société, on peut se demander si les réformes récentes ou en cours, qui introduisent des modes de fonctionnement proches de la justice anglo-saxonne, ne semblent pas cohérentes à l'esprit du modèle français, ce qui met en porte-à-faux nombre de magistrats.
PS : Je sais que j'ai oublié beaucoup d'aspects évoqués (les peines de prison, la peine de mort, etc), mais je compte sur vous pour compléter ou, pour ceux qui n'étaient pas là, pour poser des questions, dans les commentaires à remplir ci-dessous
Monique Didierjean